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Oeuvres de Jean Jaurès

12/01/2011 - Lu 16444 fois
Préface générale de Madeleine Rebérioux
Cette préface rédigée en 1999 par Madeleine Rebérioux est une introduction générale à la lecture de l’œuvre de Jaurès. Elle a été publiée dans les divers tomes des Œuvres publiés depuis lors : Philosopher à trente ans (les thèses) et Critique littéraire et critique d’art (tomes 3 et 16, 2000), L’affaire Dreyfus (tomes 6 et 7, 2001) et Le passage au socialisme (tome 1, 2009). Elle sera reprise dans le dernier tome à paraître, mais les conditions actuelles de la consultation électronique nous ont amené à choisir de la présenter de manière permanente sur le site de la Société d’études jaurésiennes plutôt que de la répliquer pour chaque volume de l’édition Fayard.




La personnalité, le personnage de Jean Jaurès, longtemps comme engloutis dans l’hagiographie ou la polémique, sont aujourd’hui mieux connus, en tout cas mieux problématisés. Vouée au culte de l’image, notre fin de siècle a fait bon accueil au leader assassiné à l’heure où commençait le grand massacre. Et sa parole est devenue, un peu partout, objet d’étude. Deux musées lui sont aujourd’hui consacrés : celui de Castres, sa ville natale, fonctionne comme un centre de recherche et comme un lieu d’exposition d’où rayonnent, sur toute la France, les représentations de Jaurès ; celui de Montreuil, en banlieue parisienne, abrite les vestiges de sa bibliothèque, à L’Humanité, et d’assez nombreuses archives. Dans ces temples jaurésiens, dans d’autres lieux aussi, se tiennent depuis des années des colloques au cours desquels continue de s’affiner notre vision de l’homme et de son temps. Notre vision d’une œuvre qu’un militantisme harassant au service des travailleurs n’est pas parvenu à absorber toute entière, même s’il ne lui a laissé ni le loisir nécessaire à une abondante correspondance, ni le temps indispensable pour rédiger les grands livres qu’il portait en lui.

Il est fini en effet le temps où, seuls, des militants chevronnés questionnaient Jaurès. Autour de lui se pressent aujourd’hui des chercheurs venus de toutes les sciences humaines : l’histoire et la sociologie, la littérature et la lexicologie, la science politique. Les orientations de recherche, profondément renouvelées pendant les années 1960 et 1970 [1], abordent aujourd’hui sur de nouvelles terres, quitte à retrouver parfois d’anciennes pistes, passagèrement abandonnées. Dans cet effort d’exploration, la France n’est pas seule : c’eut été surprenant, s’agissant d’un internationaliste aussi convaincu. Après l’Italie et la Belgique, l’Allemagne et l’Union soviétique, la Pologne et la Hongrie, la question des États-Unis d’Europe surgit à l’horizon. Au Maghreb, en Amérique latine, Jaurès contribue au renouvellement des questions sur l’émigration, sur l’universalité des droits. Et, dans l’Asie lointaine, c’est en Chine, au Japon, en Corée que des chercheurs le découvrent et entreprennent de le situer sur l’horizon de leurs attentes.

Bref, ce sont les dimensions multiformes de l’œuvre qui apparaissent aujourd’hui. Une œuvre dont la connaissance est devenue indispensable pour tout travail sérieux sur la naissance de la modernité, en même temps que s’impose sa mise en perspective historique. Une œuvre qui fait désormais partie du patrimoine de la France et dont se réclament les travailleurs, les chômeurs, tous les dominés. Une œuvre qui appartient aussi aux ingénieurs, aux intellectuels, au monde politique. Et, pour finir, à toute l’humanité.

Statuaire et théâtre, cinéma et télévision, bande dessinée, : fort bien. Aucun mode de présence ne remplace pourtant les textes. Il n’avait pas tort, Charles Seignobos, le dreyfusard, lorsqu’il écrivait en 1898, dans l’Introduction aux études historiques : “ En histoire, on ne voit rien de réel que du papier écrit, et quelquefois, des monuments ou des produits de fabrication ”. C’était le temps de Jaurès. Au reste, les images, immobiles ou mouvantes, que sont-elles sinon des “ produits de fabrication ” ? Ces textes, nous voulons les lire avec d’autant plus d’ardeur que nous n’avons gardé aucun enregistrement de sa voix aux accents occitans, de la “ douceur rayonnante ” et du “ torrent irrésistible ”, dixit Léon Trotski, que les paysans et les ouvriers, les intellectuels et les parlementaires découvraient quand ils entendaient parler Jaurès.

Où les trouver ces textes ? La première réponse est venue des militants patentés. L’exact tableau des brochures tôt diffusées n’a pas encore été dressé. Elles ont promu quelques morceaux de choix au rang de classiques politiques : le débat Guesde-Jaurès en 1900, à l’hippodrome de Lille ; le discours à la Chambre sur la loi de trois ans, etc. Maintes fois réédité jusqu’à aujourd’hui, le Discours à la Jeunesse de 1903 répond, lui, aux attentes civiques, éducatives des enseignants. Plus récemment, L’Art et le socialisme (1900) a été retenu par le musée d’Orsay pour sa “ bibliothèque du XIXe siècle ”. Et la commémoration de l’Affaire a remis à l’ordre du jour, dans la mémoire dreyfusienne, Les Preuves, après “ J’accuse... ” : un grand livre après un texte fondateur.

Cette liste n’a certes rien d’exhaustif. Plus abondantes, soucieuses souvent de faire place au penseur, à l’artiste qu’est Jaurès, et non seulement à l’homme politique, s’avancent les anthologies. Leur mère à toutes date de 1922. Ses deux auteurs, Paul Desanges et Luc Mériga, avaient fondé à la veille de la guerre un mouvement d’action populaire, “ La Forge ” : “ Quel homme recueillera l’outil tombé des mains du Maître ? ” demandent-ils. “ Et qui rebâtira le palais ? ”. Socialistes, communistes ? Rêve d’unité en tout cas, et d’humanité, un mot que Jaurès affectionnait. Émile Vandervelde, le Belge qui avait présidé l’Internationale depuis 1900 et accompagné son effondrement, fait part égale en 1929 dans ses Morceaux choisis à l’homme d’action et à l’éducateur. Depuis la fin des années cinquante, , la nouvelle présence de Jaurès dans la vie civique et intellectuelle de la France s’est exprimée à travers maints nouveaux recueils : la revue Europe en avait donné le signal en 1958. Ceux qui ont suivi sont nés dans la mouvance de la Société d’études jaurésiennes [2].

Comment se satisfaire de “ pages choisies ” ? Il y a belle lurette qu’a été énoncé le projet, monumental, de rendre accessible, comme pour Hugo, comme pour Zola, l’ensemble des textes à travers lesquels Jaurès s’est exprimé. Il apparaît avec la première Société des Amis de Jaurès fondée en juin 1916 dans le milieu des socialistes partisans de l’Union sacrée, et présidée par Lucien Lévy-Bruhl, lui aussi normalien, lui aussi dreyfusard. Très vite cependant la dimension politique fait problème. Qui sont les “ vrais ” amis de Jaurès ? Le risque existe, déclare en 1919 Daniel Renoult, d’un “ arrangement artificiel ”. La SFIO ne peut prétendre après le congrès de Tours assumer seule un héritage aussi emblématique et, en même temps, aussi complexe. Au bout d’une dizaine d’années, les socialistes décident de s’associer, de façon au moins symbolique, le parti radical en la personne d’Édouard Herriot, les syndicalistes avec Léon Jouhaux, et, avec Gaston Lévy, les coopérateurs, bien pourvus en argent. Surtout, le comité de publication où ils figurent intègre de grands intellectuels dreyfusards aux options diverses : Basch et Bouglé bien sûr, mais aussi Charléty, Mauss, Meillet... et Langevin dont nul n’ignore les sympathies publiques qu’il a exprimées à la jeune révolution soviétique. Aussi bien est-ce une maison en quelque sorte universitaire, marquée à gauche, qui accepte de prendre le projet en charge : nées en 1913, les éditions Rieder publient Europe depuis 1923 ; Jean-Richard Bloch, Marcel Martinet y occupent des postes de responsabilité. Les engagements pris en 1929 ne seront pas récusés lors de la restructuration de l’édition universitaire au début des années trente [3].

Il manquait un maître d’œuvre. Ce fut, à partir de 1929, Max Bonnafous : normalien (promotion 1920), philosophe, maître de conférences à Bordeaux à partir de 1930. Et socialiste. Il travailla avec une grande diligence : le premier volume sortit des presses en mai 1931. Bonnafous y expliquait, très brièvement, ses choix. Œuvres complètes ? Impossible : il eut fallu entre quatre-vingts et quatre-vingt-dix volumes selon lui. Il propose : une vingtaine. Méthode d’exposition ? À un plan chronologique des textes, il préfère un ordre analytique, organisé autour de six thèmes : le socialisme, la paix, la laïcité, les grandes batailles politiques, les questions économiques et sociales, et, pour finir, un fourre-tout peu légitimé : le monde et les hommes. Neuf volumes paraissent, à un rythme très rapide jusqu’en 1934, plus lent ensuite. Un seul des thèmes prévu y est traité sur toute la durée de la vie de Jaurès : son combat “ Pour la paix ”, en effet central pendant ces années.

1940 : tout s’arrête. Pas question de reprendre les Œuvres de Jean Jaurès à la Libération. Max Bonnafous était politiquement disqualifié pour avoir participé activement au régime de Vichy : après avoir quitté la SFIO en 1933, il s’était rapproché d’hommes politiques qui évoluaient vers le pacifisme intégral et, en relation avec Pierre Laval, il était devenu ministre de l’Agriculture et du ravitaillement en avril 1942. Il l’était resté jusqu’en janvier 1944. Faut-il, au nom de la connaissance, regretter cette interruption ? Ce n’est pas certain. Le plan thématique intégral présentait de nombreux inconvénients : il était difficile de répartir dans des cases préconçues une œuvre aussi foisonnante et - Bonnafous l’avait signalé lui-même - “ un peu brutal de fractionner ainsi une pensée ”. S’il était passé outre, c’était pour mieux toucher un public désireux de prendre Jaurès pour modèle. C’était aussi pour afficher, à travers Jaurès, ses propres choix. Cette option n’est plus acceptable. Surtout elle fut mise en œuvre dans la hâte et avec beaucoup de négligence : l’appareil scientifique - les notes, la perspective historique - est quasi-absent ; des catégories entières de documents n’avaient pas été recensées : les préfaces, les interviews, les interventions dans les congrès internationaux ; la presse locale, la presse étrangère n’avaient pas été dépouillées, de grandes revues intellectuelles étaient ignorées. Bref, il fallait procéder autrement.

La critique est aisée. Et l’art ? Pas si facile. Née en 1959, l’année du centenaire, la Société d’études jaurésiennes, présidée par Ernest Labrousse, grand historien et maître de toute une génération, décida de relever le défi. Il faut, écrivait-il dans le premier numéro du Bulletin de la Société, “ il faut à tout prix remettre en circulation ces grands textes difficiles à trouver et les présenter dans de bonnes conditions critiques. Il faut, en un mot, reprendre la publication des œuvres avec l’indispensable appareil ”. La Société prit ce projet à cœur Elle entreprit, avec l’aide des instances scientifiques, d’en constituer les bases financières. Elle s’adressa à plusieurs maisons d’édition [4]. Elle crut à plusieurs reprises avoir touché au port : en préfaçant en 1983, ce n’est qu’un exemple, la réédition de l’anthologie jaurésienne publiée à la Libération par Louis Lévy, j’annonçais que les deux premiers volumes des Œuvres, nouvelle manière, allaient paraître à la fin de l’année. Optimisme de la volonté...

Mais l’intelligence doit-elle être pessimiste ? La longue plage de temps qui s’achève aujourd’hui mérite une brève exploration. Les Œuvres, telles que nous les présentons ici ne visent pas seulement à répondre à des modes d’approche renouvelés par la convocation des sciences humaines. Elles sont le fruit d’une transformation profonde, d’une mutation dans le désir de lire Jaurès. Une mutation, ou plutôt des mutations liées à l’histoire de notre époque. Ce fut d’abord le temps des guerres coloniales, celui où quelques Français dénonçaient la torture, une des armes de la panoplie française en Algérie et s’obstinaient à faire connaître la vérité, à ce que justice du coup soit rendue. Donner la parole à Jaurès, c’était à la fois faire apparaître la distance qui le séparait de nombre de ses héritiers présumés [5] et mieux comprendre les difficultés auxquelles en France se heurtait l’anticolonialisme. En même temps sonnait l’heure du débat sur Dieu : associé chez Jaurès à la publication de sa thèse, aux textes inédits publiés dès 1959 [6] et à un dépouillement systématique de La Dépêche, il posait sur une longue durée, le problème de la métaphysique dans la pensée jaurésienne et dans notre société laïcisée. La laïcité justement : voilà un domaine où la conception de Jaurès a évolué, un domaine remis à l’ordre du jour par la nécessité d’accueillir, jusque dans notre étroit hexagone, la diversité des cultures. La classe ouvrière enfin, objet de tant de travaux quand se créaient, en même temps que la Société d’études jaurésiennes - ou peu s’en faut - la revue Le Mouvement social, le Centre d’histoire du syndicalisme et le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Son poids propre a certes fléchi à la fin du XXe siècle au bénéfice d’un concept plus large, le salariat, mais les questions posées naguère par le député des mineurs de Carmaux [7], nous en reconnaissons toujours la pertinence : pour qui doit fonctionner la protection sociale ? Quel est le rôle de la nation dans l’organisation du travail, quand le chômage s’installe ? Quelle est la fonction historique de la propriété privée, et celle du libéralisme ? D’autres questions continuent de surgir, d’autres viendront. À demain, Jaurès !

Si la Société d’études jaurésiennes, collectif de recherche et inséparablement équipe d’amitié, a su animer, avec d’autres, ces débats et saisir le pouls de notre histoire, c’est qu’elle a jalousement veillé au pluralisme de sa direction, c’est aussi qu’elle a été partie prenante dans la publication, grâce à son Bulletin et à ses Cahiers, de textes de Jaurès inconnus ou peu connus et que, en multipliant les journées d’études et, tout récemment, en élargissant le champ de ses recherches et de la bibliographie jaurésienne au-delà de Jaurès lui-même et de ses proches, elle est parvenue à redresser, par petites touches, au prix de polémiques parfois vives, l’image du patriarche que la mort du leader avait inscrite dans notre mémoire. Il convient aujourd’hui de se référer non point à la justification d’un héritage, mais à la mise en relation des textes de Jaurès avec leur temps et de suggérer des lectures qui concernent le nôtre, voire, si nous en sommes capables, des lendemains encore imprévisibles.

Aussi bien, le projet d’Œuvres présenté par la Société a-t-il été élaboré en organisant, volume par volume, la participation d’historiens, de philosophes, de critiques littéraires qui ont, un jour ou l’autre, croisé le chemin de Jaurès, d’un Jaurès homme de son temps, créateur aussi de pratiques intellectuelles, politiques et sociales que nous n’avons pas fini de déchiffrer. Quels sont nos choix ?

Pas question bien sûr d’Œuvres dites complètes. Bonnafous avait raison : d’une part le travail de journaliste où Jaurès excellait depuis qu’il était en 1887 entré à La Dépêche comporte d’inévitables redites surtout lorsque l’homme de presse apporte sa contribution à plusieurs quotidiens à la fois. Jaurès le savait même s’il n’était pas un professionnel du journalisme. Et d’autre part, son maître ouvrage, l’Histoire socialiste de la Révolution française reste en dehors de notre champ : l’édition Soboul n’est pas épuisée [8]. Quel est l’éditeur enfin qui envisagerait de sang froid l’investissement nécessaire à la production sur papier de quelque soixante à quatre-vingts volumes ? La conception à laquelle nous nous sommes arrêtés, après des hésitations qui vaudraient d’être rapportées en détail, débouche sur dix-huit volumes dont le plan est établi et les responsabilités attribuées par le conseil d’administration de la Société.

L’ordre retenu, comme pour toutes les éditions savantes, est chronologique. C’est le seul qui, en rupture avec les lectures purement idéologiques de Jaurès, permette de comprendre son évolution à l’heure où la société industrielle se constitue et où, face au capitalisme, le syndicat et le parti socialiste entrent dans la ronde des acteurs sociaux. À l’heure où , littérature, art et civilisation mêlés, les avant-gardes expriment leur désir de rompre avec le monde ancien et où la République rejette pour une part l’usure précoce dont elle était menacée en s’engageant, modestement, tardivement, dans une des voies ouvertes par le dreyfusisme. À l’heure enfin où le colonialisme et les nationalismes ouvrent la voie à la guerre. Que seront les lendemains ? La question prend Jaurès à la gorge, passées les heures où fut totale sa confiance dans l’imminence de la révolution. Contre les “ maquignons de la patrie ”, que peut, que veut l’Internationale ?

Trois volumes seulement rompent avec l’ordre des temps. Nous y avons beaucoup, et collectivement réfléchi. La correspondance de Jaurès aurait-elle dû constituer un volume autonome ? Nous y avons renoncé. À l’exception des lettres que, jeune normalien il échangea avec son ami Salomon - elles ont été publiées en 1924 par Lévy-Bruhl - elles sont trop dispersées pour faire l’objet d’une lecture globale. Les volumes prévus se réfèrent à la culture savante ou demi-savante, ce continent souvent peu connu des militants. Philosopher à trente ans : c’est sous ce titre que nous avons regroupé, autour de ses thèses de doctorat, des textes plus anciens. Il y a là un moment de sa pensée qu’il n’a jamais récusé. Plus nouveau sans doute, mais non pas plus important, l’ensemble des écrits de Critique littéraire, une façon de manier la plume et d’introduire entre les écrivains et leur public potentiel, à laquelle il est resté fidèle. Une vraie découverte. Une découverte aussi, mais en un autre sens, celle du Pluralisme culturel. On en voit émerger les contours, chez Jaurès lui-même, à mesure qu’au delà du grec, du latin, et du beau français, il réfléchit aux parlers populaires, découvre la civilisation arabo-musulmane, l’importance de l’Asie, le vaste monde. Ici il marche en avant de son temps.

À l’exception de ces trois thèmes, essentiels, chaque volume est couvert par un titre qui tente d’exprimer l’originalité du moment. Naturellement, d’un volume à l’autre, glissements et repentirs ne sont pas totalement interdits : le découpage chronologique a lui aussi ses limites et ses risques. Et d’autre part la pénible impression de fouillis que pourrait donner sa mise en œuvre exhaustive est corrigée, à l’intérieur de chaque tome, par une structuration en chapitres qui renvoient aux thèmes alors abordés par Jaurès. Pour chacun d’eux, l’ordre chronologique est respecté. L’introduction, substantielle, du livre et la présentation des chapitres ont la charge, lourde, de faire comprendre le mouvement de la pensée, les problèmes posés par l’action, et de les situer historiquement, les notes de bas de page étant réduites au strict indispensable.

Cette façon de faire répond à un des deux publics visés par cette édition : celui des non-spécialistes, de ce peuple immense qui a le droit et aura, nous en faisons le pari, le désir de lire Jaurès. Nous entrons, n’est-ce pas, dans l’ère de la formation continue, scientifique et technique assurément, humaniste et sociale aussi. Mais il est un second public, celui des chercheurs, des compétents, je ne dis pas des experts, Jaurès n’aurait pas aimé ce mot. Ils doivent savoir que les articles de presse, les lettres, les interviews seront reproduits intégralement, ainsi que les ensembles constitués par Jaurès lui-même : outre L’Armée Nouvelle, commentaire d’une proposition de loi, puis livre en 1911 [9], les Études socialistes qu’il publia en 1901 aux Cahiers de la Quinzaine ; la forte préface qu’il écrivit en 1904 pour le premier tome de ses discours parlementaires : il n’y en eut pas d’autres, hélas !. Dans les longs discours justement, dans les gros articles qu’il lui arriva de publier en revue - même s’il ne fut jamais “ un homme de revue ” - les coupures, si elles sont indispensables, seront évidemment clairement indiquées. Surtout, chaque volume, constitué selon le rythme chronologique, comportera la liste intégrale des textes produits par Jaurès, à Paris comme en province, en France comme à l’étranger. La Société d’études jaurésiennes en assume la tâche. Conscients de nos limites, et des possibilités, ardemment souhaitées, que surgissent, grâce à cette édition justement, maints inédits, voire quelques oublis, nous avons prévu un ultime volume. Il comportera aussi des biographies, des portraits des lieux, un index général des noms de personnes, des journaux, des organisations. Bref, un appareil commode.

C’est montrer beaucoup d’ambition ? En effet. Nous avons l’espoir, grâce à l’effort que nous entreprenons - un effort où le responsable de chaque volume restera libre de ses interprétations dans le cadre des contraintes collectives assumées - à la fois de promouvoir autour de Jaurès de nouvelles recherches, d’amener à la lecture de son œuvre de nouveaux lecteurs et de mettre en lumière ce qu’une grande pensée, historiquement située, peut apporter aux hommes d’aujourd’hui et de demain.


Madeleine Rebérioux

Présidente de la Société d’études jaurésiennes



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1 Le point sur ces renouvellements a été fait par Madeleine Rebérioux dans sa préface à la réédition de Jean Jaurès, anthologie présentée par Louis Lévy, Paris, Calmann-Lévy, 1983.

2 Cf. Georges Bourgin, Jean Jaurès, Monaco, éditions Héméra, “ Les grands orateurs républicains ”, tome IX, 1952 ; Madeleine Rebérioux, Jaurès contre la guerre et la politique coloniale, Paris, Éditions sociales, “ Les Classiques du peuple ”, 1959 ; Jean- Rabaut, L’Esprit du socialisme. Six études et discours, Genève et Paris, Denoël/Gonthier, “ Médiations ”, 1964 ; André Robinet, Jaurès, Paris, Seghers, “ Philosophes de tous les temps ”, 1964 ; Madeleine Rebérioux, Jaurès et la classe ouvrière, Paris, Maspero, “ Petite collection Maspero ”, 1975 ; Gilles Candar, Jean Jaurès (1859-1914), “ L’Intolérable , Paris, Éditions ouvrières, 1984 et Jean Jaurès, Libertés, Paris, Ligue des droits de l’homme/EDI, 1987.

3 La Banque des coopératives de France était devenue en 1928 principale actionnaire des éditions Rieder : elle a peut-être investi dans le projet Bonnafous. Elle sombre en 1934. C’est la BNCI qui reprend les rênes du groupe Rieder, Leroux, Alcan, PUF.

4 Ces contacts n’ont pas abouti, mais la Société d’études jaurésiennes a reçu une aide financière du Ministère de la Recherche et de l’Industrie, en date du 21 décembre 1982, qui nous a aidés dans la préparation des Œuvres.

5 Ainsi Guy Mollet, secrétaire général de la SFIO, président du conseil de février 1956 à juin 1957, à l’heure même où la torture s’impose à Alger. Il est loisible de rapprocher la “ 4e de couverture ” de L’Affaire Audin, ce petit livre où Pierre Vidal-Naquet se réclamait de Jaurès pour tirer au clair les conditions de l’assassinat de ce jeune mathématicien, de l’intérêt porté actuellement aux Preuves.

6 Par les soins de Michel Launay. Il s’agit de la longue conclusion d’un manuscrit de Jaurès intitulé par lui “ La question sociale ”, mais dont le fragment publié, le seul retrouvé à cette date, fut placé sous le signe de “ La question religieuse ”.

7 Cf. la thèse essentielle de Rolande Trempé, Les Mineurs de Carmaux ( 1848-1914), Paris, Éditions ouvrières, 1971, deux tomes. Rolande Trempé est, avec Maurice Agulhon et Jean-Jacques Becker, vice-présidente de la Société d’études jaurésiennes.

8 Quant à La Guerre franco-allemande 1870-1871, rééditée en 1971 par Flammarion, nous en publierons des extraits.

9 L’Armée Nouvelle a été récemment rééditée avec une présentation de Jean-Noël Jeanneney par l’Imprimerie nationale dans la collection des Acteurs de l’histoire (1992, 2 tomes).