QUESTION ET INTERPELLATION CONCERNANT LA GRÈVE DE GRAULHET
(Suite à la visite de Jaurès à Graulhet, le mardi 11 janvier 1910)
Début : présidence de M. Henri Brisson.
M. le président. La parole est à M. Jaurès pour adresser une question à M. le ministre du travail, qui l'accepte.
M. Jaurès. Si j'ai demandé d'urgence à M. le ministre du travail de vouloir bien accepter, sur la grève de Graulhet, une question, si je lui ai demandé de me dire quelles mesures le Gouvernement comptait prendre et quelle action il comptait exercer pour résoudre équitablement ce conflit, c'est que, depuis six semaines, dans cette ville de Graulhet qui a déjà été éprouvée, depuis quelques années, par des chômages périodiques très durs et presque épuisants, se développe une lutte qui peut aboutir à des conséquences graves.
L'insistance des ouvriers, revendiquant ce qu'ils considèrent comme leur droit, la résistance obstinée et parfois provocatrice du patronat ont amené une tension des esprits qui est inquiétante. Et pourtant, il semble que le conflit pourrait aisément se résoudre. L'objet du litige, pris en lui- même, ne paraît pas, à cette heure, très important.
Les ouvriers ont formulé deux revendications. Sur la première, sur l'augmentation de 25 centimes par jour du salaire, très modeste d'ailleurs, des femmes, les patrons leur ont accordé satisfaction. Le débat ne porte, à cette heure, que sur une demi-heure de travail dans la journée.
Dans l'industrie de Graulhet, qui est particulièrement fatigante, qui est, dans certaines de ses périodes, insalubre, les ouvriers ont, depuis quelques années déjà, un quart d'heure le matin pour un premier déjeuner à l'usine, un quart d'heure l'après-midi pour un goûter. Ils demandent que ce quart d'heure le matin et le soir soit porté à une demi-heure, et c'est là, à l'heure actuelle, tout l'objet du litige, toute la raison du conflit.
Pourquoi le demandent-ils ? Pour deux raisons principales. La première est qu'ils sont menacés, par les conditions nouvelles de l'industrie à Graulhet, de chômages périodiques, de chômages annuels toujours plus graves, et il leur paraît sage, par une légère diminution de la durée de la journée de travail, de prolonger un peu la saison du travail même. La machine a été introduite depuis quelques années dans l'industrie de Graulhet ; elle n'y a pas eu l'effet que les ouvriers avaient pu redouter, de supprimer un certain nombre de travailleurs ou d’abaisser le salaire. La production, au contraire, s’est accrue et les ouvriers présents dans les usines ont pu continuer à être employés.
Mais tandis qu'autrefois, avec le travail à la main, le travail au chevalet qui se faisait avec une sorte de lenteur, le travail était réparti sur presque toute l'année, depuis quelques années, depuis que la machine a pénétré, depuis que les grands acheteurs, comptant sur la rapidité de production de la machine, ont exigé d'être fournis à certaines dates, l'industrie de Graulhet devient de plus en plus une industrie saisonnière et le travail est réglé ou plutôt il est déréglé de telle sorte que pendant 4, 5, 6 et 7 mois le labeur est forcené ; les ouvriers, transformés en manœuvres, obligés d'emporter sur leur dos des charges de cuir, des charges de peaux toujours plus lourdes pour débarrasser de la matière la machine trépidante et toujours plus active, les ouvriers, pendant ces sept mois, sont surmenés, accablés ; puis, la saison finie, c'est pendant quatre mois, cinq mois, un chômage total, un chômage épuisant qui réduit cette population de braves gens, dont les patrons eux-mêmes reconnaissent que ce sont des ouvriers laborieux, consciencieux, à vivre, pendant des mois, de secours, de soupes municipales organisées par la charité publique.
C'est pour réagir un peu contre ce dérèglement du travail que les ouvriers demandent que, dans la saison où ils sont employés, la durée du travail quotidien ne soit pas démesurée, pour qu'un peu de ce travail ménagé soit reporté sur la période de chômage. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Et puis ils ont une autre raison pour demander que le quart d'heure du petit déjeuner et le quart d'heure du goûter soient étendus à une demi-heure, c'est qu'il s'agit d'une industrie parfois malsaine, toujours malpropre, où les ouvriers manient des substances répugnantes, des substances putrides, d'une odeur nauséabonde, intolérable ; ils manient en outre, pour le nettoyage des peaux, des substances chimiques qui, soit directement par le contact, soit indirectement par l'aspiration et l'absorption, sont nuisibles à la santé : ils absorbent des émanations d'arsenic, ils manient des couleurs d'aniline ; il y a des émanations de chlorures, de sulfures, toutes sortes de matières puantes ou nocives, et quand ils arrivent à l'heure du déjeuner, ils y arrivent saturés de ces exhalaisons, les mains malpropres, le visage malpropre ; tout le métal, tout l'argent qu'ils peuvent avoir sur eux, l'argent de leur montre, l'argent de leur monnaie est oxydé dans leur poche et dans leur portemonnaie. Il leur arrive alors de n'avoir pas le temps, dans le quart d'heure qui leur est donné, de se laver, de se nettoyer, de prendre les précautions de propreté sans lesquelles l’homme mange comme une bête, et les précautions d'hygiène sans lesquelles l'industrie devient particulièrement insalubre. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)
Voilà, messieurs, toute la satisfaction que, depuis six semaines, le patronat refuse aux ouvriers de Graulhet.
Et qu'on ne dise pas qu'il y aurait là pour l'industrie de Graulhet une charge trop lourde. D'abord, si une industrie ne pouvait vivre qu'en intoxiquant d'une manière permanente ses ouvriers, ce serait funeste. Et puis, la force des choses a été telle qu'en fait — j'en ai recueilli moi-même le témoignage de la bouche des patrons, avec lesquels j'ai eu à Graulhet, essayant de concilier les intérêts, une entrevue — la force des choses a été telle qu'en fait, par tolérance, ce quart d'heure du déjeuner et du goûter débordait parfois et que ce n'était pas un quart d'heure, mais vingt minutes, vingt-cinq minutes, quelquefois une demi-heure. Je leur ai dit alors : « Pourquoi refusez-vous de régulariser cette pratique et de donner ainsi aux ouvriers une garantie permanente ? » La seule objection vraie, sérieuse, que pourraient faire les patrons, c'est qu'ils ne sont pas sûrs, après cette revendication, de ne pas se trouver en face d'une autre. Je reconnais — je l'ai dit aux ouvriers, ils l'ont reconnu eux-mêmes — qu'au début de la grève ils ont commis la faute de ne pas présenter toutes leurs revendications à la fois et de ne pas laisser aux patrons, à l'origine du conflit, un temps nécessaire pour formuler leur réponse. Les ouvriers ont offert aux patrons, pour qu'il ne pût y avoir dans l'avenir la moindre difficulté, et, lorsque je suis allé à Graulhet, ils m'ont après délibération de la commission de la grève, autorisé à proposer formellement aux patrons ceci : que si les patrons accordaient la demi-heure demandée, les ouvriers s'engageraient solennellement, par un contrat collectif, à ne pas élever pendant deux ans une revendication quelconque soit sur la durée du travail, soit sur les salaires, et à laisser toujours, dans l'avenir, écouler un intervalle déterminé entre le moment où ils saisiraient les patrons de leurs revendications et le moment où le travail cesserait.
Je vous l'avoue, messieurs, lorsque j'ai été autorisé par les ouvriers à porter cette offre aux patrons de Graulhet, j'ai eu un moment l'illusion que le conflit allait se résoudre. Et ce n'était pas de la part des travailleurs une offre vaine. Dès le début de la grève, ils avaient offert aux patrons, alors qu'il restait encore des milliers de francs dans la caisse syndicale, maintenant épuisée, de déposer à la caisse des dépôts et consignations le fonds de leur réserve syndicale comme garantie pécuniaire de leurs engagements. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)
Messieurs, on ne peut pas donner de marque plus certaine de bonne foi, de bonne volonté ; et si j'ajoute qu'au début du conflit quand le juge de paix, conformément à nos lois, a proposé aux deux partis, la procédure d'arbitrage, les ouvriers l’ont acceptée sans réserve et que les patrons l'ont refusée brutalement, j'aurai souligné le caractère et le sens de la lutte.
Vous comprenez que dans ces conditions les ouvriers, sensibles aux souffrances qui leur sont imposées par une résistance qui leur paraît injustifiée, s'énervent. Les incidents violents ont pu être évités jusqu'ici. Je souhaite qu'ils le soient de façon durable, mais je souhaite qu'ils le soient surtout par un sage règlement du litige en cours. Qu'on ne nous parle pas de terrorisme ouvrier ! Les ouvriers à Graulhet, hommes et femmes, sont unanimes, absolument unanimes dans la lutte. Je crois n'avoir prononcé aucune parole violente, mais je crois pouvoir dire à la Chambre que tandis qu'on accuse très souvent les ouvriers d'être terrorisés par des meneurs, d'être menés par quelques despotes sortis de leurs rangs, on ne prend pas garde que de plus en plus, dans l'organisation patronale de résistance aux grèves, s'introduisent des mœurs que l'on appellerait despotiques, s'il s'agissait des ouvriers. (Applaudissements à l'extrême gauche.) Les patrons se sont syndiqués, pas tous ; mais ceux qui se sont syndiqués se sont engagés réciproquement — et pour tous il n'y avait pas liberté entière du choix — à payer un dédit aux autres patrons si l'un d'eux, venant à faiblir sous une pensée de justice, entrait en négociations et en accord avec les ouvriers.
J'ai là une déclaration — je ne veux pas lire le nom de la maison, je ne veux pas aigrir les choses — mais j'ai là une déclaration de quinze ouvriers attestant que chez un des patrons non syndiqués, qui continuait à faire travailler en accordant aux ouvriers ce que ceux-ci demandaient, le président et secrétaire du syndicat patronal se sont présentés avec des allures impérieuses, et les ouvriers ont été avertis que le patron ne pourrait pas continuer à les faire travailler parce que le haut banquier l'avait menacé de lui couper le crédit.
M. Magniaudé. C'est presque toujours ainsi que les choses se passent avec les syndicaux patronaux.
M. Jaurès. Je n'insiste pas et je demande simplement au Gouvernement s'il ne juge pas que, dès aujourd'hui, deux choses sont à faire : la première, c'est d'intervenir au nom de l'hygiène, par application des lois d'hygiène dont il a la garde (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche), pour exiger qu’à l'heure du déjeuner et du goûter, pour que le repas, au lieu du réconfort, ne devienne pas un empoisonnement, les ouvriers aient la marge de temps matériellement nécessaire ; et la seconde, c'est d'insister dans ce sens pour qu'une procédure arbitrale vienne avec équité mettre un terme à ce conflit (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail.
M. René Viviani, ministre du travail de la prévoyance sociale. Messieurs, je ne viens pas répondre à l'honorable M. Jaurès, au moins dans l'exposé qu'il a présenté des faits, car, s'agissant des conditions dans lesquelles est née et s'est développée la grève de Graulhet, je ne pourrai, sauf le complément que je vais apporter à ses explications, que m'en référer à celles qu'il a lui- même apportées à la tribune.
Je tiens simplement à appeler l'attention de la Chambre, à l'aide de documents qu'il est assez naturel que j'aie dans les mains et que l'honorable M. Jaurès n'ait pas, sur les conditions les plus précises dans lesquelles est né le conflit.
Tout d'abord, en présence de quel élément patronal et de quel élément ouvrier nous trouvons-nous ? Il y a à Graulhet 75 établissements de mégisserie dont les plus importants emploient plus de 200 ouvriers, dont les moins importants donnent de l'ouvrage à trois ou quatre ouvriers ; ce qui fait que nous sommes en présence de 1.805 ouvriers ou ouvrières. Je tiens à dire — et vous allez voir l'état que je ferai tout à l'heure de l'affirmation que j'apporte — qu’il y a 480 femmes employées aux usines de Graulhet.
Au début du mois de décembre, comme l’a très exactement rapporté M. Jaurès, les femmes, qui avaient un salaire de 2 fr. par jour, ont demandé que cette somme fût accrue de 25 centimes, ce qui aurait fait un gain de 2 fr. 25 par jour...
M. le ministre du travail et de la prévoyance sociale. ... pour un travail très fatigant et sur les conditions duquel j'insisterai tout à l'heure.
Les patrons — il faut le reconnaître — se sont réunis et ont accédé au désir exprimé par les ouvrières. Mais au moment où ils accordaient cette augmentation de salaire aux femmes, la nouvelle leur est parvenue que les ouvriers, qui, pour appuyer par une manifestation imposante les revendications des ouvrières, s'étaient déclarés en chômage volontaire, demandaient qu'on leur payât cette journée à titre d'indemnité.
Les patrons ont alors déclaré qu'ils allaient surseoir à l'exécution de leur décision ; ils ont réveillé une commission mixte qui avait été créée par une convention passée en 1899, pour lui donner la compétence et l'autorité nécessaires afin de prendre des mesures.
Les ouvriers ont fait remarquer que cette commission avait été acceptée par les ouvriers mégissiers et non pas par les ouvriers moutonniers ; et ils ont exprimé une troisième revendication, celle dont parlait l’honorable M. Jaurès et qui consistait à faire diminuer d'une demi-heure la durée la journée de travail.
Les ouvriers, messieurs, à Graulhet, entrent dans les établissements à six heures le matin et finissent leur travail à six heures du soir. Mais il convient d'ajouter que, de onze heures du matin à une heure de l'après-midi, ils sortent de l'atelier pour prendre leur repas. Nous sommes donc en présence d'une journée de travail de dix heures. Il convient d'ajouter aussi, comme M. Jaurès l'a dit, que deux fois dans la journée, à sept heures du matin et à trois heures de l'après-midi, ils ont un repos d'un quart d'heure, pour se livrer, dans l'intérieur de l'atelier, à ce qu'en langage ouvrier on appelle le « casse-croûte » et ce qu'en langage administratif on appelle la « collation ». Donc, la journée de travail est de neuf heures et demie.
Que demandent les ouvriers ? Une diminution d'une demi-heure qui porterait, par conséquent, la durée de la journée de travail à neuf heures. Comment disposeraient-ils de cette demi-heure dont ils demandent le gain ? Ils prendraient un quart d'heure de plus le matin pour la première collation et un quart d'heure de plus, l'après-midi, pour la seconde. Voilà exactement l'état des revendications. Ces revendications n'ayant pas été satisfaites, la grève fut déclarée.
Immédiatement, les autorités, sous l'impulsion du Gouvernement, se sont mises en mouvement. J'ai là, dans mon dossier, la date de la première intervention du sous-préfet ; elle est du 8 décembre. Mais il s'est heurté, comme cela était assez naturel au lendemain de l'ouverture d'un conflit, quand les amours-propres sont irréductibles, à l'intransigeance des parties.
Le 11 décembre, M. le préfet et M. le juge de paix sont intervenus et ont formulé des propositions d'arbitrage. Les patrons ont accepté à la condition qu'il ne porterait que sur l'attribution du salaire et non sur la journée de travail. Les ouvriers ont déclaré que l'arbitrage ne devant pas être entier, ils ne pouvaient accepter cette proposition. (Très bien ! très bien ! à gauche.)
Cependant, une base d'accord semblait avoir été trouvée ; il s'agissait d'augmenter les salaires et de créer une caisse de chômage. Encore là des discussions sont intervenues et n'ont pas permis à l'accord de se produire. Depuis, M. le préfet — auquel je tiens à rendre un hommage et sur le rôle duquel j'insisterai plus longuement tout à l'heure — est intervenu d'une façon presque constante. Je ne crois pas que quiconque puisse reprocher à l'agent du Gouvernement, tant au point de vue politique, qu'au point de vue social, d'avoir compris son rôle autrement que dans une démocratie ne le doivent comprendre les représentants officiels du Gouvernement.
Messieurs, à l'heure présente, quelle est donc et que peut être l'opinion du Gouvernement sur les revendications en présence ?
Étant donné l'appel que M. Jaurès adressait à la Chambre et au Gouvernement, appel auquel je viens répondre que ses représentants ont cherché par tous les moyens à amener une conciliation, et que je ne perds pas l'espoir d'y parvenir de mon côté, vous me permettrez d'observer une très grande réserve dans l'appréciation des responsabilités qui peuvent être établies, et d'abord celle du Gouvernement. Dans quelle mesure, avant que la grève naquît, le Gouvernement est-il intervenu, je veux dire le ministre du travail, dont la responsabilité spéciale peut être ici précisée ?
Dans l'année 1909, l'inspecteur du travail a été appelé à faire diverses visites. Sur 77 établissements, il en a visité 63 et, sur ces 63, il en a coté 7 qui ont été de sa part l'objet d'une courte visite. Quel a été le résultat de ces visites ? Et tout d'abord quels sont les lois et règlements applicables aux mégisseries ? Ce sont d'abord les règlements d'hygiène générale applicables à tous les établissements industriels, et qui consistent dans la propreté, le nettoyage, la réfection de l'outillage mis à la disposition du personnel, et des cabinets d'aisance.
Je dois reconnaître que, dans l'année 1909, l'inspecteur du travail a été obligé d'adresser 55 mises en demeure aux patrons qui tiennent ces établissements. Viennent ensuite des mesures d'hygiène spéciale aux établissements qui travaillent des matières organiques. Ici encore M. l'inspecteur du travail a été obligé d'adresser 22 mises en demeure aux établissements qui ne s'étaient pas mis en règle vis-à-vis de ces mesures spéciales dont j'ai parlé.
Il y avait enfin des causes d'insalubrité sur lesquelles je vais m'expliquer et dont je puis dire qu'en réalité, sous l'action du progrès, elles ont à peu près disparu.
M. le ministre du travail. Les voici : il y a d'abord le dégagement des buées qui se produisent au moment de la teinture des peaux. Sur ce point, le syndicat ouvrier n'a pas élevé généralement des plaintes, car on peut dire que cette cause est assez minime ; il y en avait une autre très importante : c'était le dégagement de la poussière qui se produisait au moment du ponçage des peaux, il y a huit ans. Les malheureuses ouvrières qui étaient recrutées pour ce travail étaient couvertes de poussière de la tête aux pieds et étaient obligées, pour préserver leurs yeux, leurs oreilles, leur bouche et leur nez, de se couvrir le visage de leur mouchoir.
M. le ministre du travail. Je reconnais que, depuis huit ans, une amélioration s'est produite, qu'à l'heure actuelle il y a des pompes aspirantes qui fonctionnent dans l'intérieur de l'usine, aspirant violemment la poussière et la rejetant au dehors, à telles enseignes que le recrutement des femmes qui, on le comprend, était extrêmement difficile il y a huit ans, est devenu extrêmement facile.
Mais, messieurs, il y a à la base de tout cela une cause d'insalubrité et de mort, on peut le dire.
M. Jaurès. Oui ! de mort ! les ouvrières ne vivent pas au-delà de cinquante ans !
M. le ministre du travail. C'est ce qu'on appelle le charbon. Je n'ai pas à expliquer, au point de vue médical, ce que c'est que le charbon. Les travaux de Pasteur et du docteur Koch sont encore présents à tous les esprits. Vous savez que le charbon est une infection virulente, inoculable, contagieuse entre les animaux et l'homme. Le charbon est à ce point contagieux que les médecins spécialistes ont constaté que non pas seulement dans un établissement, mais dans une ville où un mouton atteint du charbon avait été enterré, un habitant passant près de l’endroit où son sang s'était écoulé sur le sol, sans même manipuler la peau, pouvait être atteint. Vous pensez ce qu'il peut advenir de l'ouvrier qui, lui, travaille sur la peau du mouton infecté.
Je dois reconnaître que jusqu'à l'année 1908, le charbon était inconnu à Graulhet. Mais je dois reconnaître aussi, hélas ! que dans l'année 1908 et dans l'année 1909, le charbon y a fait sept victimes. Pour éviter contagion, il faut que l'on impose aux ouvriers des soins méticuleux de propreté : pour que ces soins soient pris, il faut instiller des vestiaires et des lavabos. Le décret de 1904, article 8, en fait une obligation au patron. Je regrette de constater que, dans l'année 1909, trente-neuf mises en demeure ont dû être adressées aux établissements.
C'est ici que peuvent s'apprécier les revendications ouvrières. Que disent les ouvriers ? Ils ont liberté entière de onze heures à une heure pour se livrer, hors de l'établissement, à leur repas, et si cette liberté leur était refusée, les règlements interviendraient. L'article 8 du décret du mois de novembre 1904 exige que les repas soient pris hors l'établissement. Est-ce que le ministre du travail est armé ? Oui, en ce qui concerne les deux repas principaux ; en ce qui concerne les collations rapides et brèves, que les ouvriers prennent pour soutenir leurs forces durant le travail, la commission supérieure du travail, commentant et interprétant le décret de 1904, n'a pas égalé à ces repas principaux que prennent les ouvriers, à midi et à sept heures du soir, les collations et les casse-croûte. Si j'étais armé pour empêcher que ces collations aient lieu à l'intérieur de l'établissement, si j'étais armé — et je vais vous dire dans quelle mesure je puis l'être — je crois que je me heurterais à une double difficulté sur laquelle j'appelle l'attention de la Chambre.
Que puis-je faire ? Je puis présenter un projet qui — j'ai la bonne fortune de pouvoir vous le dire — n'est pas un projet de circonstance, car il est soumis depuis quelques mois au comité des arts et manufactures. Dans ce projet, je me préoccupe de trouver de meilleurs moyens de porter remède à la situation, et l'article 9 de ce projet, qui est soumis à l’attention du comité des arts et manufactures, est ainsi conçu : « Les chefs d’atelier, directeurs ou gérants, sont tenus d'afficher, dans un endroit apparent des locaux de travail, un règlement d'atelier imposant aux ouvriers les obligations suivantes : se servir des gants et divers vêtements de travail mis gratuitement à leur disposition, utiliser le vestiaire et les lavabos prévus par l'article 5, paragraphe 4, prendre des soins de propreté à chaque sortie de l'atelier. »
Je pourrais ajouter qu'il sera défendu de prendre des aliments dans l'usine. Seulement devant quelle difficulté allons-nous nous trouver ? Tout d'abord, je fais remarquer qu'aucune loi sur le travail ne peut permettre au ministre d'imposer quoi que ce soit aux ouvriers. Il peut faire aux patrons certaines injonctions. Je puis obliger par décret les patrons à faire un règlement d'atelier, dans lequel il serait interdit de manger à l'atelier. Seulement il surgirait une difficulté, que les ouvriers eux-mêmes soulèveraient, si dans l'interdiction générale de prendre leur repas était comprise celle de manger rapidement un morceau de pain et de boire un verre de vin. Pouvez-vous interdire cela ? Se trouvera-t-il un patron dont la surveillance serait assez étendue et assez minutieuse pour empêcher ces actes ?
Je pourrais aussi me faire armer et ensuite donner des instructions en vue de faire accorder une augmentation de délai pour qu'on prenne dans l'établissement ces repas, afin, comme le disait M. Jaurès, — car c'est un point important — que ce délai soit imparti aux ouvriers d'abord pour prendre des soins de propreté et ensuite pour manger. Seulement je fais remarquer la difficulté extrême devant laquelle je me trouve, et il faut bien que, par avance, j'en prévienne les ouvriers. Qu'est-ce que règle et décide la législation sur le travail ? Elle ne porte pas sur le temps de présence, elle porte sur la durée effective du travail. De sorte que, lorsque des patrons, par l'action de la loi, auront accordé une demi-heure le matin et une demi-heure le soir pour prendre des aliments, je ne pourrais pas les empêcher de modifier l'heure d'entrée dans l'atelier et l'heure de sortie, et la durée effective du travail serait la même. Je ne crois pas que ce soit ce que recherchent les ouvriers.
Messieurs, ce que le ministre du travail a fait, c'est de faire dresser des procès-verbaux, — deux ont été dressés — et d'adresser également des mises en demeure, parce que des lavabos et des vestiaires n'avaient pas été établis. Par une sorte de fatalité, au moment où l'inspecteur du travail, au mois de décembre dernier, allait se présenter pour savoir si ces mises en demeure avaient été suivies d'effet et y substituer, s'il était nécessaire, des procès-verbaux, la grève a été déclarée et il lui a été complètement impossible de se livrer à son inspection.
Voilà les conditions dans lesquelles le ministère du travail, dans l'année 1909, a appliqué les lois, par l'intermédiaire d'un inspecteur zélé, actif, attaché à ses fonctions, les conditions dans lesquelles, depuis que la grève est née, le Gouvernement a été représenté par son préfet. Je tiens à dire que je ne demande pas mieux que d'être investi par la Chambre, ainsi que cela fut fait dans des grèves récentes, de la haute mission, dont je serais honoré, le pouvoir législatif ayant doublé l'autorité du pouvoir exécutif, d'intervenir à nouveau par l’intermédiaire des représentants du Gouvernement et, si c'est nécessaire, d'intervenir personnellement, afin de rechercher la conciliation, et, s'il y a lieu, par voie d'arbitrage, entre les parties en cause. (Très bien ! très bien !)
En ce qui le concerne, le Gouvernement a fait jusqu'ici tout son devoir et aucun reproche ne peut lui être adressé. Il est représenté sur les lieux par un préfet qui sait allier le tact à la fermeté, qui sait qu'on peut défendre l'ordre sans cependant donner aux travailleurs l'impression que leur liberté de poursuivre par la grève leurs revendications est atteinte, et qui comprend que le véritable devoir d'un préfet de la République est de faire appel à l'autorité morale sur les patrons et sur les ouvriers, au lieu d'abuser de l'autorité matérielle. (Applaudissements à gauche.)
Le Gouvernement ainsi représenté, obéi dans vos instructions strictes, ne demande pas mieux que d'intervenir à nouveau, s'il est nécessaire. J'ai démontré que tout a été fait par lui ; cependant il est prêt à tout tenter encore auprès des patrons en faisant appel à leur esprit de justice, auprès des ouvriers en faisant appel à leur esprit de sacrifice, pour aboutir à la conciliation après une grève douloureuse dans laquelle, à côté de quelques ardeurs assez explicables chez des hommes qui sont privés de leurs salaires depuis bientôt sept semaines, les travailleurs ont montré par leur sagesse qu'ils étaient dignes de la liberté. (Vifs applaudissements.)
M. le président. Aux termes du règlement, vous ne pouvez avoir la parole, puisqu'il s'agit d'une question.
M. Jaurès. Si la Chambre le voulait bien, pour réserver tout son droit à. M. de Belcastel, qui est le représentant de ces ouvriers, elle pourrait transformer la question en interpellation. M. de Belcastel prendrait ainsi la parole, et il me suffirait ensuite de quelques minutes pour répondre à M. le ministre.
M. Jaurès demande que la question soit transformée en interpellation.
Il n'y a pas d'opposition ? (Non ! non !)
M. de Belcastel. Je ne voudrais pas que la Chambre vît dans la succession des interventions qui se produisent je ne sais quel symbole de l'antagonisme entre deux catégories de citoyens français. Ce n'est pas, j'en suis certain, la pensée de M. Jaurès, et ce n'est pas la mienne. Nous sommes tous deux des hommes loyaux, qui travaillons en toute sincérité à un apaisement social, à une œuvre d'équité économique. (Très bien ! très bien !)
Je ne corrige pas le tableau qu'a brossé d'une façon très circonstanciée, et peut-être en certaines parties, un peu pessimiste, M. Jaurès ; cependant, je dois exposer, pour redresser l'opinion qu'on pourrait avoir de l'intransigeance, qui serait injustifiée, des patrons, les causes qui déterminent chez eux une certaine résistance. Ces causes résident essentiellement — et c'est pourquoi ce douloureux conflit, à mon avis, pourrait être apaisé — dans la succession des revendications. Voici comment :
Aux termes des accords passés en 1889, en cas de revendications, la chambre syndicale ouvrière devait s'ouvrir, par un rapport écrit, à la chambre syndicale patronale, et les difficultés devaient être traitées dans une entente commune, notamment le travail ne devait pas être suspendu sans préavis. Malgré ces accords, la chambre syndicale ouvrière émet une revendication et la transmet à la chambre patronale. Le lendemain était un dimanche ; la chambre patronale se réunissait pour examiner cette revendication qui portait sur le supplément de 25 centimes à accorder aux femmes, et, alors qu'elle se montrait décidée à y faire droit, de nouvelles revendications surgissaient, portant sur la durée du travail. Voilà un des griefs des patrons. Il leur en coûte aujourd'hui d'entrer en conversation avec les ouvriers parce qu'ils se demandent si, lorsqu'ils leur auront accordé satisfaction sur un point, une nouvelle réclamation ne leur sera pas adressée. J'expose simplement les faits tels qu'ils se sont passés.
À une date ultérieure, dans une réunion des patrons, en présence de M. le préfet du Tarn, il avait été décidé que, dans un esprit de conciliation…
M. le ministre du travail et de la prévoyance sociale. La proposition de M. Jaurès laissait tout à fait les patrons en dehors de cette inquiétude, car les ouvriers s'engageaient à ne soulever aucune espèce de réclamation pendant deux ans.
M. de Belcastel. L'intervention de M. Jaurès est postérieure aux événements que j’indique.
M. le ministre du travail. Elle est identique au contrat passé par les ouvriers maçons à Paris avec les entrepreneurs.
M. de Belcastel. Mais, monsieur le ministre, elle est postérieure aux événements que j'indique.
Au moment dont je parle, les patrons proposent aux ouvriers — et je dois dire que si j'ai pu faire quelque chose, mon action s'est exercée dans ce sens — d'instituer une caisse de chômage. Les deux commissions — c'était un dimanche — sont tombées d’accord, sous cette réserve que leur décision serait ratifiée par l'assemblée plénière des patrons, d'une part, et l'assemblée plénière des ouvriers, d'autre part.
Les patrons ont regretté que l'assemblée Plénière des ouvriers n'eût pas ratifié l'accord accepté par sa commission d’administration, par son comité de grève, pour dire mot propre.
M. de Belcastel. Voilà donc la situation des patrons. S'ils n'écoutaient que leur cœur, que leur générosité naturelle, je suis sûr que l'accord se ferait aisément.
Ils vivent dans une très grande familiarité avec leurs ouvriers, car ce ne sont pas de ces grands patrons qui, de leur cabinet de travail, en appuyant sur un bouton électrique, font mouvoir toute une usine ; ils vivent dans une grande habitude de camaraderie et d'affection envers leurs ouvriers : on s'est connu enfants, on s'est suivi toute la vie. Voilà leur état d'esprit, et ils se sont froissés quand ils ont vu leurs ouvriers faire appel à certains éléments étrangers ; ils auraient préféré que tout se passât en famille. Je le dis en toute sincérité, si ce conflit avait pu être traité uniquement entre les patrons et les ouvriers de Graulhet et arbitré par M. le préfet du Tarn dont l'esprit est très ferme et très souple, il aurait été facilement apaisé.
Je n'entre pas dans certains détails qui seraient en contradiction avec les renseignements qu'a donnés M. Jaurès sur l'emploi de matières nuisibles. Ces matières nuisibles n'existent plus, elles ont été transformées. L'aniline, par exemple, ne s'emploie plus en poudre, mais en cristaux, et un seul homme la triture. On la broie dans de l'eau bouillante où elle se dilue et les hommes qui se livrent à cette opération sont munis d'un masque qui atténue le danger.
M. de Belcastel. Il n'y en a pas. L'ouvrier graulhétois fait un métier très pénible, tout le monde le reconnaît, les patrons les premiers. Je crois que cette situation doit cesser.
Je m'en étais ouvert ces jours-ci à M. le ministre du travail et je lui avais dit qu'il m'apparaissait qu'avec sa haute autorité, sa haute situation dans le monde du Gouvernement et dans le monde du travail, il pourrait arriver à une pacification heureuse. Je n'aurais pas ouvert ce débat, car il ne m'apparaissait pas que d'une discussion à la tribune pût jaillir une solution autre que celle qui pourrait jaillir sur place ; mais puisqu'il a été ouvert, j'ai tenu à y prendre part, à dire ma pensée en toute conscience.
Dans ce moment, on se trouve en présence d'une susceptibilité éveillée de part et d'autre. Je suis ici un historien impartial. Si j'écoutais les mouvements de mon propre cœur, je dirais aux patrons de faire un pas vers leurs ouvriers. Mais les patrons me répondraient en ouvrant leurs livres de « doit et avoir », et ils me demanderaient si je me charge de combler la différence de ce que certaines dispositions leur enlèveraient de justes profits et de possibilité de vivre avec leur industrie. À cela que voulez-vous que je réponde ? Il faudrait étudier la question, ce qu'il n'est pas dans mes moyens de faire. Il y a ici une question économique.
Je crois qu'étant données la situation, les susceptibilités éveillées de part et d’autre, les conversations ne peuvent pas se poursuivre avec les éléments en présence. Il faut recourir à des éléments nouveaux. Je crois qu'un homme comme M. le Ministre du travail, avec la grande autorité qui s’attache à sa charge, pourrait remettre les choses au point de départ. Il pourrait faire ce que l'on fait aux manœuvres — vous me permettrez ce souvenir de mon ancienne carrière : lorsqu'un mouvement a été mal ou inopportunément exécuté, les arbitres font reculer les partis chacun sur son terrain et on opère de nouveau sur table rase. On dit : Reprenez vos positions, et alors nous recommencerons la manœuvre. Je voudrais que par une fiction — mais c'est une fiction qui peut se concevoir — M. le ministre du travail dise aux uns et aux autres : Vous allez faire comme si rien ne s'était passé, vous, comme si vous n'aviez encore rien demandé, vous, comme si vous n'aviez encore rien refusé, et vous allez me formuler vos revendications ; je servirai d'interprète, d'intermédiaire éclairé, influent, entre vous tous. Peut-être qu'ainsi, monsieur le ministre du travail, vous arriveriez à la solution de ce problème douloureux dont j'appelle l'apaisement de tout mon cœur. Je voudrais que vous puissiez aller à Graulhet ; je crois que vous emporteriez dans les plis de votre toge non pas la paix ou la guerre, mais seule la paix que nous souhaitons ardemment. (Applaudissements.)
M. Jaurès. Messieurs, je crois au contraire que l'exposé très sincère et très loyal de la situation qui a été fait à cette tribune et les manifestations de la Chambre qui peuvent se traduire par un vote ne peuvent que contribuer au règlement de ce conflit.
Il me sera bien permis de constater en deux mots que les orateurs qui m'ont succédé à cette tribune, M. le ministre du travail et M. de Belcastel, ont confirmé l'exactitude des renseignements de fait que j'avais fournis à la Chambre.
M. le ministre du travail a reconnu que l'industrie de la mégisserie comportait des opérations antihygiéniques.
Il a en même temps appris à la Chambre et il m'a appris à moi-même que, dans l'année qui a précédé le conflit, l'inspection du travail avait dû adresser, pour 71 usines, 57 mises en demeure pour l'observation de certaines catégories de règles d'hygiène, et 21 mises en demeure, je crois, pour l'observation des autres. En sorte que, dans les usines dont les chefs résistent à cette heure à la demande des ouvriers, sont venues s'ajouter aux causes d'insalubrité tenant à la nature même de l'industrie, des négligences patronales assez fréquentes pour avoir nécessité des mises en demeure aussi nombreuses que celles que M. le ministre du travail vient de signaler. (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.)
C'est une raison de plus pour les patrons de ne pas se dérober plus longtemps à cette demi-heure que les ouvriers demandent dans l’intérêt de l’hygiène, pour laquelle le patronat de Graulhet se montrait si négligent.
Précisément parce qu'il a assumé cette responsabilité, parce qu'il n'a pas observé les prescriptions d'hygiène que les règlements lui imposaient, il a un devoir plus étroit d’accorder aux ouvriers travaillant dans des conditions particulièrement insalubres le supplément d'un quart d'heure le matin et d'un quart d'heure l'après-midi qui leur est nécessaire pour leurs soins de propreté et de santé.
M. de Belcastel a dit qu'il voudrait bien conseiller aux patrons de Graulhet de céder, mais, qu'il y avait là une question de doit et d'avoir. Qu'il me permette de lui dire qu'il n’en est pas ainsi, parce qu'en fait, comme le disent les patrons, mais d'une façon irrégulière et arbitraire, une prolongation est déjà accordée au-delà du quart d'heure qui avait été traditionnellement donné.
M. de Belcastel lui-même a reconnu que le conflit portait beaucoup moins sur le fond des choses, sur un intérêt matériel, que sur une question d'amour-propre et de susceptibilité.
Il ne peut donc y avoir là aucun intérêt matériel engagé pour l'industrie. Je crois pouvoir affirmer qu'au contraire, pour l'industrie de Graulhet, le contrat collectif que proposent les ouvriers en échange de la satisfaction qui leur serait donnée, ce contrat qui garantit, qui stabilise les conditions de travail pour un minimum d'au moins deux années, avec renouvellement automatique pour une période égale si le contrat n'est pas dénoncé un mois d'avance, avec un délai toujours donné au patronat entre l'heure des revendications et l'heure où cesserait le travail, ce contrat assure à l'industrie de Graulhet des garanties de stabilité et de sécurité qui valent pour elle infiniment plus que ne pourraient lui coûter ces deux pauvres petits quarts d'heure .qu'on demande pour la santé et pour la dignité des ouvriers. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
M. de Belcastel dit que, peut-être, les patrons auraient cédé plus facilement si ne s'était pas produite là-bas l'intervention d’éléments étrangers. La façon dont M. de Belcastel a parlé de mon intervention personnelle...
M. de Belcastel. Non, monsieur Jaurès, je n'ai fait allusion à votre intervention que pour dire que votre rôle pouvait être bienfaisant et utile. J'ai fait allusion à d'autres personnages.
M. Jaurès. Je dis qu'à la façon dont vous avez parlé de mon intervention personnelle j’ai bien la certitude que ce n'est pas mon intervention à moi, si étranger que je sois affaires de la mégisserie, que vous critiquiez. Je me suis appliqué l'autre jour, à Graulhet, à concilier les esprits. J'ai contribué à obtenir des ouvriers une partie des garanties, j'avais espéré les faire accepter par les patrons. Mais je dis alors que ceux que vous visiez ce sont les secrétaires syndicaux de la fédération des cuirs et peaux de France. À qui voulez-vous que des ouvriers auxquels vous donnez le droit et le conseil de s'organiser, à qui voulez-vous, dans des périodes de grève, qu'ils demandent lumière, conseil et réconfort, si ce n'est à leurs camarades des organisations syndicales ? (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Ce ne sont pas là des politiciens, comme on le dit souvent, des quêteurs de mandats, ce sont des ouvriers comme eux, qui viennent leur apporter les conseils et le réconfort de leur expérience et de leur solidarité.
À l'heure actuelle, les patrons de Graulhet ont appelé, pour suivre les réunions, pour verbaliser, pour se plaindre, pour surveiller leurs intérêts, deux avocats à la cour de cassation. (Exclamations à l'extrême à gauche.)
Je n'ai été amené à dire ces choses qu'en réplique ; la Chambre m'est témoin que je n'avais pas prononcé une seule parole qui pût contribuer à passionner et à aigrir les esprits.
Je ne suis nullement opposé à une procédure d'arbitrage. Il serait imprudent d'en fixer dès maintenant les termes, les conditions, les représentants.
Je crois que le Gouvernement doit proposer avec autorité cette procédure d'arbitrage en laissant tout d'abord aux intéressés le soin de s'entendre sur les modes de l'arbitrage, et je crois que le Gouvernement doit faire valoir auprès des patrons que s'il n'a pas, pour leur imposer aujourd'hui comme règle d'hygiène cette demi-heure, toute l'autorité d'une force légale stricte, il a du moins le droit de faire valoir cette raison d'humanité avec d'autant plus de force que pendant un an, deux ans, les inspecteurs du travail avaient été obligés de constater que, pour ces ouvriers vivant dans une industrie empuantie et souvent malsaine, les règles d'hygiène n'avaient pas été observées. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
M. le président. La parole est à M. de Belcastel.
M. de Belcastel. Je voudrais brièvement protester contre l'attribution à moi par M. Jaurès de paroles que je n'ai pas prononcées. À aucun degré je n'ai fait allusion à un rôle qu'il eût mieux fait de ne pas remplir.
Plusieurs membres à l'extrême gauche. Il a dit le contraire !
M. de Belcastel. Au contraire, j'estime que M. Jaurès, dans un but des meilleurs, a tenté un rôle qui pouvait être efficace ; j'ai prononcé, comme c'était mon droit de le faire, le mot d'éléments étrangers qui, je le répète, auraient peut-être mieux fait de ne pas aller à Graulhet.
Je voudrais éclairer l'opinion de la Chambre sur le tableau un peu noir que M. Jaurès a fait de l'industrie graulhétoise, au point de vue de l'hygiène. Il y a eu des contraventions, et j'en suis presque étonné, parce que, lorsque j’ai consulté au ministère du travail certaines personnes qualifiées pour me répondre, on m'avait dit que l’inspecteur du travail de Castres ne relevait aucune infraction aux lois sur le travail aux règlements de police, aux règlements d'hygiène, et que c'était certainement une des circonscriptions où il y avait le moins de contraventions à relever.
Mais, enfin, ceci importe peu. L'industrie graulhétoise s'est agrandie progressivement. Elle est née dans de très petites usines ; à côté de ces usines, il a fallu bâtir des locaux supplémentaires, et on n'a pas pu réaliser tout le confortable ou toutes les conditions de l'hygiène industrielle moderne, comme on peut le faire quand on bâtit tout d'une pièce, et en une fois, de grandes usines, en observant toutes 1es prescriptions réglementaires.
Il faut tenir compte de la manière dont les usines de Graulhet se sont agrandies. Il y a peut-être à y critiquer quelques détails non conformes aux exigences actuelles. Mais je donne ces explications, parce que je les crois de nature à innocenter largement les patrons, que l'on a tendance à accuser.
J'ai entre les mains une lettre du président du syndicat patronal ; il m'apprend que, dans une entrevue qui a eu lieu entre les patrons, les ouvriers et M. le préfet du Tarn, les patrons ont accordé aux ouvriers cette demi-heure que j'appellerai hygiénique, puisqu'elle doit permettre aux ouvriers de prendre des soins de propreté avant leur repas, au sortir des travaux pénibles qu'ils ont accomplis. Seulement, les patrons demandent que cette demi-heure soit rattrapée (Exclamations à l'extrême gauche) — je dis toute la vérité — de telle sorte que s'ils accordent, le matin et le soir, pour le goûter, une demi-heure au lieu d'un quart d'heure, cette demi-heure supplémentaire soit rattrapée, ou en diminuant d'une demi-heure le temps consacré au repas de midi ou en fournissant, le soir, une demi-heure de travail supplémentaire.
Voilà la proposition que les patrons ont faite, devant M. le préfet du Tarn au syndicat des ouvriers de Graulhet, je tenais à le dire ; je le répète, voulant exposer tout ce qui a été fait, tout ce qui a été dit, tout ce qui a été tenté pour arriver à la pacification de la place industrielle de Graulhet.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...